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Sénégal

Mondial 2022-Sénégal : 10 millions d’euros de recettes, quelle part pour le foot local ?

Au Sénégal, il y a un dicton wolof qui dit : «souma leu ñané, jangal meu ninuy nappé» (apprend-moi à pêcher plutôt que de me donner du poisson). Les acteurs du football local trépignent d’impatience de découvrir ce que le Comité exécutif (Comex) de la Fédération sénégalaise de football (FSF) a prévu pour le football local dans le partage des retombées financières de la participation des Lions de la Téranga au Mondial 2022.

«Il est important de faire bénéficier de cet argent aux clubs et acteurs du football local, avait déclaré le patron du football sénégalais, Me Augustin Senghor, lors d’une réunion post-Mondial du Comex. Nous avons aussi proposé à la commission de finance de se réunir avec la direction financière pour proposer des axes d’investissements de ces fonds. Nous sommes une fédération bâtisseuse avec beaucoup de projets d’infrastructures et nous allons injecter une partie de l’argent dans ce secteur. Le reste pourra servir dans les autres secteurs du développement du football local mais aussi de nos sélections pour les compétitions internationales en 2023.»

Un système de redistribution inefficace

En 2018, après la Coupe du monde en Russie, la FSF avait attribué 6200 euros à chacun des 14 clubs de Ligue 1 et 3850 euros à chacun des 14 clubs de Ligue 2.

Le football professionnel n’a jamais été aussi mal en point qu’aujourd’hui malgré le rayonnement de la sélection A du Sénégal. Une situation déplorée par les acteurs du football local qui espèrent des investissements plus conséquents pour l’essor de celui-ci.

L’Union nationale des footballeurs professionnels du Sénégal (UNFPS) a confié à SNA des pistes d’investissements durables en rappelant que c’est à la LSFP et aux clubs d’aller trouver les finances pour le football professionnel. «Si la FSF veut vraiment aider la LSFP avec l’argent engrangé au Mondial, elle devrait donner à chaque club une somme pouvant assurer son fonctionnement pendant une saison», suggère le secrétaire général de l’UNFPS, Lamine Mboup.

L’ancien international ajoute : «De quoi préparer le prochain exercice. Il faut leur faire comprendre que c’est à eux (la LSFP et les clubs) d’aller chercher les moyens pour faire du football professionnel. Sans cela, une direction nationale du contrôle de gestion sera mise en place pour reléguer ces clubs qui ne peuvent pas assurer le cahier des charges.»

Directeur de Guédiawaye FC entre 2014 et 2018, Modou Guèye Seck espère un changement radical par rapport à un système obsolète. Il dit : «Cette fois-ci quand même je pense qu’avec cet argent on va sortir du carcan habituel de redistribution. Ce n’est pas la bonne approche (…) Ce système de rétribution ne sert pas à grand-chose à terme, car les dépenses de fonctionnement de nos clubs dépassent largement ces montants dérisoires.»

Une sélection A dans l’opulence, un foot local moribond

Pour un pays huitième de finaliste de la Coupe du monde 2022, la situation économique du championnat du Sénégal est un vrai paradoxe. «Quand tu es incapable de payer au joueur un salaire lui assurant le logement, de quoi manger et se soigner, ça veut dire que tu ne peux pas être professionnel, tranche Lamine Mboup. Il faut un salaire minimum de 500 000 F CFA (775 euros) par mois. Aujourd’hui le Sénégal va à la Coupe du monde et le monde entier se demande comment un pays qui joue les huitièmes de finale de la Coupe du monde ne peut avoir un championnat où les joueurs ne peuvent même pas percevoir 200 000 F CFA (300 euros) par mois. Ils exploitent la misère de ces joueurs qui sont malheureusement prêts à tout pour jouer.»

L’ancien international sénégalais a situé le problème en pointant du doigt un dysfonctionnement dans l’appareil décisionnel du football professionnel. «Normalement c’est à la Ligue de prendre en charge le championnat, indique le secrétaire général de l’UNFPS. La fédération doit soutenir le football amateur. Mais le problème c’est que ce sont les mêmes qui sont à ligue de football amateur, à la LSFP et la FSF. Ils font ce qu’ils veulent et se partagent des millions. Ce n’est plus du bénévolat quand chaque mois les membres du comité exécutif de la FSF touchent 3 000 000 F CFA (4600 euros).»

Le championnat du Sénégal ne nourrit pas ses acteurs. Certains vivent dans la précarité. Pour inverser la tendance, l’UNFPS est en train d’accomplir les démarches administratives pour intégrer le Comex de la FSF. Sans trop y croire, son secrétaire général espère qu’elle doit bénéficier d’une subvention de l’instance. «Ce sont les joueurs qui font le football de ce pays», justifie Lamine Mboup.

Investir dans l’autonomisation du football professionnel

Joint par téléphone par SNA, Pape Momar Lo, vice-président de la LSFP, informe que cet organe fédéral sera en conclave la semaine prochaine afin de réfléchir avec la FSF sur des propositions de modes de redistribution des retombées financières du Mondial 2022. Une chose est sure : le président de la l’instance a annoncé le règlement d’arriérés de récompenses de la LSFP aux clubs sur la période 2016-2019. «C’est bien d’éponger les arriérés de primes de la LSFP mais cela doit être accompagné de mesures visant à assainir le fonctionnement de la LSFP, objecte Modou Guèye Seck. Recruter des personnes qui viennent travailler et qui sont indépendantes des clubs. Aujourd’hui, ce sont les présidents et responsables de clubs qui composent la LSFP. Ce qui rend difficile la prise de décisions fortes et justes parce que les gens sont juges et parties.»

Pour le secrétaire général de l’UNFPS, tout ce qui sera décidé devrait prendre en compte l’amélioration des conditions de travail des joueurs. «On parle de professionnalisme mais le championnat sénégalais est loin d’être professionnel, tonne Lamine Mboup. On emploie des jeunes qui touchent 25 000 à 50 000 F CFA (40 à 80 euros) avec un maximum de 125 000 F CFA (190 euros). L’avenir de nos joueurs est précaire. Un dirigeant de club qui réclame l’aide l’État et la Fédération est tout simplement la preuve qu’il est incapable de faire du professionnalisme.»

Pour un investissement durable dans le football professionnel, des pistes de réflexion avec les acteurs existent. Encore faudrait-il les associer. «Pour une meilleure utilisation de cet argent on peut suggérer qu’on investisse dans le toilettage des textes de la LSFP, rappelle Modou Guèye Seck. Cela a été une promesse de la FSF lors de la formation de la CAF en 2015. C’est le moment de payer un cabinet externe qui travaille sur cette mise à niveau des textes et cahiers des charges répondant aux exigences du football moderne.»

Le championnat local manque de visibilité et d’attractivité. Dans un premier temps, c’est aux instances de supporter ce déficit en termes de communication, insiste Guèye Seck. «Il faut faire en sorte que tous les matchs qui se jouent dans les régions puissent être retransmis. Dans ce sens, suggère-t-il, il faut soit doter les ligues régionales de matériels audiovisuels ou alors leur donner les moyens de signer des conventions avec les télés locales pour diffuser chaque match qui se joue dans les régions. Ça permettra à la Ligue d’augmenter l’attractivité du football professionnel et d’attirer à terme des partenaires financiers. C’est cela qui permet de pouvoir vendre un produit football local attrayant et capter les ressources additionnelles pour son fonctionnement et ne plus attendre la FSF.»

L’ancien directeur de l’actuel leader de la Ligue 1 sénégalaise a également affiné la cible du football local en suggérant des moyens d’accès prenant en compte leur environnement. Il propose : «Investir également dans les OTT (contenus audiovisuels par internet) avec un visionnage par streaming puisqu’aujourd’hui tout le monde est connecté. Les ligues régionales peuvent produire les contenus du football de toutes les catégories pour une large diffusion. Vendre ce football là au niveau des localités avec un bon système de monétisation et derrière, générer des revenus en attirant des partenaires privés qui associent leur image à ce football très attractif sur les réseaux sociaux notamment auprès des jeunes.»

Moustapha M. SADIO

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