Rarement une victoire n’aura suscité autant de doutes dans la carrière de Balla Gaye II. Le chef de fil de l’école de lutte Balla Gaye alimente les débats de grand-place chez les amateurs de lutte sénégalaise. Le lutteur de 37 ans est aujourd’hui à la croisée des chemins. Moins explosif qu’à ses débuts, il a deux prochains combats cruciaux : face à un Eumeu Sène qui l’a battu deux fois et Boy Niang 2, un jeune loup qui a puni son petit frère Sa Thiès.
Un physique en question
Qu’il est loin le temps où Balla Gaye II était ce lutteur dominant et ultra spectaculaire entre 2005 à ses débuts et 2015 après avoir enchaîné deux défaites de rang pour la première fois de sa carrière. Dimanche dernier face à Gris Bordeaux, ses fans sont passés par toutes les émotions avant de pousser un grand ouf de soulagement lorsque leur poulain finit par terrasser un Gris Bordeaux au crépuscule de sa carrière.
Le lutteur de Fass est même passé tout près de créer la surprise en début de combat. «Chacun des deux lutteurs a eu deux temps forts dans ce combat, décrypte Omar Diagne Omez, entraîneur de lutte. C’est au niveau du cardio qu’il n’y a pas eu de répondant des deux côtés. Au début des hostilités, deux minutes après le début du combat, Gris Bordeaux a eu un premier avantage. L’expérience de Balla Gaye lui a permis de reculer vers les sacs de délimitations en posant genoux à terre après avoir pris un coup de son adversaire, faire un retrait pour se ressaisir et récupérer» a analysé le technicien.
Dans ce combat, Balla Gaye a fait preuve d’une résilience insoupçonnée pour un lutteur qui a rarement été malmené durant sa carrière longue de 17 ans (27 combats, 22 victoires et 5 défaites). Au bout de deux minutes de combat, il faisait peine à voir. Complètement essoufflé après une première salve de coups et de corps à corps avec son adversaire, il était à deux doigts de céder. Une posture inhabituelle pour le Lion de Guédiawaye, qui interpelle.
Le combat Bombardier-Balla Gaye 2 vu sous un autre angle.
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Moins impliqué sur son hygiène de vie
Expéditif dans la période dominante de sa carrière, terrassant ses adversaires en quelques secondes, Balla Gaye II est moins dans l’initiative ces dernières années. En 2014, il est défait une première fois par Bombardier pour la défense de son titre de Roi des arènes, puis enchaîne un 2ème revers de suite devant Eumeu Sène en 2015. Il décide alors de prendre du recul pendant 2 ans. Son retour en 2018 est marqué par un premier succès en carrière au terme des 30 minutes réglementaires contre Gris Bordeaux.
On pensait alors que c’était un choix délibéré pour prouver son endurance aux sceptiques. Une thèse renforcée lorsque dès son combat suivant, il terrasse de manière convaincante et pour la 2ème fois, son grand rival Modou Lô au bout de 5 minutes. Mais c’était là, le tout nouveau visage de Balla Gaye II. Plus attentiste et calculateur. Pour son 2ème face-à-face avec Bombardier, il perd au terme du temps réglementaire au plus grand nombre d’avertissements. Face à Gris Bordeaux dimanche dernier, il a eu besoin de 15 minutes pour finir par l’emporter.
À 37 ans, Balla Gaye a encore tant à offrir aux férus de lutte sénégalaise. C’est en tout cas ce que pense Abdoulaye Dembélé, journaliste au quotidien sportif spécialisé en lutte, SunuLamb. «Il suffit qu’il se tue aux entraînements pour renforcer son endurance et son physique pour offrir, de nouveau, aux amateurs du spectacle. Il (Balla Gaye) nous confiait après son couronnement en 2012, qu’il n’avait plus rien à prouver et que désormais il allait prendre que du plaisir dans la suite de sa carrière en terrassant ses adversaires par des chutes extraordinaires» a révélé Abdoulaye Dembélé.
Les amateurs sont-ils trop exigeants avec ce lutteur d’exception ? C’est ce que suggère le journaliste sportif qui évoque les débuts en fanfares du fils de la légende de l’arène sénégalaise, Feu Double Less. «Il a tellement régalé les amateurs de 2005 à 2012 quand il détrônait le Roi incontesté des arènes Yékini que toutes ses prestations qui s’en sont suivies laissent penser qu’il est sur le déclin. Je pense qu’il est loin de la fin. Ce qui arrive, lui-même le dit d’ailleurs, il a fait ce qu’aucun lutteur n’a fait dans l’arène sénégalaise. Roi des arènes à 26 ans, un parcours exceptionnel avant d’infliger sa première défaite à l’ogre Yékini. Et à partir de là, il s’est rassasié et ne se donnait plus à 100%. Ce qui explique la déception qu’on a à chacune de ses dernières sorties» explique Abdoulaye Dembélé.
Boy Niang et Eumeu Sène pour rugir ou sombrer dans l’anonymat
Deux immenses challenges s’offrent à Balla Gaye II. Le 1er janvier 2023, le Lion de Guédiawaye aura fort à faire face à Boy Niang II dans ce combat aux parfums de derby de la banlieue de Dakar. Le lutteur de Pikine représente pour Balla un véritable danger à bien des égards. «Balla a eu à faire son autocritique depuis sa 2ème défaite contre Eumeu Sène (en 2015), soutient le coach Omar Diagne Omez. Il est parti à l’INSEP de Paris pour son combat contre Modou Lô. Mais contre Boy Niang, c’est une autre paire de manches. Il lui faudra améliorer sa condition physique. Il a quelques mois d’ici le 1er janvier pour développer son endurance, sa résistance et sa vivacité. Face à Gris Bordeaux, sans sa technique de lutte, il n’aurait pas pu terminer le travail au sol.»
Ces deux combats constituent un tournant dans la suite de la carrière de Balla qui a régné dans l’arène sénégalaise avant de vivre des moments plus ternes ces dernières années. «Après avoir affronté des lutteurs de sa génération puis ses aînés, Balla Gaye II en est à la 3ème partie de sa carrière qui le voit lutter avec ses cadets. Il a terrassé tous ses aînés à part Bombardier et Eumeu (deux défaites contre chacun des deux). Ce combat face à Boy Niang qui a le même âge que Sa Thiés (jeune frère de Balla), s’annonce compliqué au vu de ce qu’il a montré contre Gris Bordeaux. Avec ça, il n’a aucune chance contre Boy Niang. L’avantage sera pour Boy Niang qui aura la fraîcheur physique et la jeunesse pour lui. Il lui faudra être fort sur le plan athlétique même s’il a l’expérience et la technique comme armes pour s’imposer» pense Abdoulaye Dembélé.
Entrée BALLA GAYE 2 pic.twitter.com/4qAEiVMY4E
— Itv Senegal (@itv_sn) April 4, 2021
Des prestations soporifiques qui menacent sa popularité ?
Immense icône au Sénégal malgré des dernières sorties de moins en moins convaincantes et moins spectaculaires qu’à l’accoutumée, le Lion de Guédiawaye (banlieue de Dakar) demeure une des grandes attractions de ce sport sénégalais. Mais ces dernières prestations pourraient sans doute nuire à son image de marque et créer un désintérêt dans ses prochaines échéances.
Abdoulaye Dembélé pense pourtant que Balla reste une attraction toujours en vogue pour les amateurs de lutte. «En 2014, il perd sa couronne face à Bombardier avant qu’Eumeu Sène ne l’enfonce en 2015. Il décide de faire une longue introspection de deux ans sans combat. À son retour pour son premier duel contre Gris Bordeaux le 31 mars 2018, il avait réussi à remplir le grand stade Léopold Senghor. C’était exceptionnel pour un lutteur qui sortait de deux revers et deux ans de pause» explique-t-il.
Véritable produit marketing pour le monde de la lutte, Balla Gaye est incontournable pour les promoteurs et organisateurs de combats de lutte. Il a d’ailleurs signé avec l’organisation Gaston Production 4 combats dont deux déjà disputés. «Je vous rappelle que pour la première expérience dans la lutte sénégalaise avec le pay-per-view, cela a été un grand succès grâce à l’aura de Balla selon le promoteur qui avait touché plus de 100 millions FCFA contre 15 millions FCFA pour le combat Lac de Guiers Il – Boy Niang (2019). Même lorsqu’il sort de cycle de défaites, il reste un excellent communicant» révèle le journaliste sportif.
S’il reste toujours attractif sur le plan marketing, il semble de moins en moins l’être sportivement. Ces prochaines sorties contre Boy Niang II et Eumeu s’annoncent en juge de paix pour le Lion de Guédiawaye, ses fans et les amateurs de la lutte sénégalaise.
Moustapha M. SADIO